Projet
Ateliers de recherche interdisciplinaire – Elabakana, décembre 2005
Du 7 au 13 décembre 2005, l’association LERKA, en partenariat avec plusieurs institutions culturelles et universitaires, a organisé à Antananarivo trois ateliers de recherche interdisciplinaire, réunissant artistes, chercheurs, poètes et universitaires de Madagascar, de La Réunion et de la région de l’océan Indien. Ces ateliers, soutenus par les ministères malgaches de l’Éducation nationale, de la Recherche scientifique, de la Culture et du Tourisme, ont favorisé une dynamique d’échanges et de réflexion sur les liens entre culture, art et société[1][2][3].
De la culture à l’art
7 et 8 décembre 2005 – Institut de Civilisation / Musée d’Art et d’Archéologie
Les premières journées ont été consacrées à la culture matérielle et à la créativité artistique contemporaine. Plusieurs interventions ont exploré :
- L’univers sensoriel et formel dans l’art contemporain malgache (M. Rafolo Andrianaivoarivony)
- L’esthétique et le symbolisme des perles de Madagascar (Bako Rasoarifetra)
- La percée médiatique de nouveaux concepts artistiques (Christiane Rafidinarivo)
Des communications à l’Académie Malgache ont complété ces échanges, abordant l’architecture créole, la perception de la contemporanéité dans l’art malgache, le cycle de vie des perles et la dimension archétypale de l’art.
Langues et poésies du Grand Océan
9 et 10 décembre 2005 – Centre Culturel Albert Camus
Les journées suivantes ont mis en avant la richesse linguistique et poétique de la région :
- Découverte de la poésie malgache d’expression malgache (Patrick Andriamangatiana)
- Réflexion sur la traduction poétique comme passerelle entre les mondes (Henri Rahaingoson)
- Exploration des langues et poésies du Grand Océan à La Réunion (Nicolas Gérodou)
- Présentation de la nouvelle génération de poètes créolophones (Babou B’Jalah)
Des poètes et artistes de la région, dont MAB Elhad, ont également participé à ces échanges, soulignant l’importance du dialogue entre les différentes traditions littéraires et orales[4][5].
Émergence de l’art contemporain à Madagascar et à La Réunion
12 et 13 décembre 2005 – Gare Soarano
La dernière session a porté sur l’évolution de l’art contemporain dans la région :
- Analyse du regard occidental sur les œuvres non occidentales (Patricia de Bollivier)
- Étude de l’émergence de l’art contemporain à La Réunion (Patricia de Bollivier)
- Spécificités de l’art contemporain malgache par rapport à celui de l’océan Indien et à La Réunion (Richard Razafindrakoto)
- Enjeux de l’art contemporain malgache (Hemerson Andrianetrazafy)
Organisation et partenaires
La logistique a été assurée par Sylvia Rajaonalimanana, la retranscription des débats par Lolona Razafindralambo, et l’animation par Rojo Rabemananstoa. Les ateliers ont été organisés en collaboration avec l’association Vaïka, l’Institut de Civilisations / Musée d’Art et d’Archéologie de l’Université d’Antananarivo, le Centre Culturel Albert Camus et l’association Gara[1][2].
Ces ateliers, conçus comme un espace d’échanges et de réflexion plutôt que de simple pratique artistique, ont permis de tisser des liens entre les acteurs culturels de la région, de questionner la place de l’art dans la société et de préparer l’exposition « Elabakana, glissement perpétuel » qui s’est tenue à Tananarive en septembre 2006[1][2][3].
- https://www.temoignages.re/culture/culture-et-identite/un-outil-au-service-des-artistes,12533
- https://www.cnap.fr/elabakana-glissement-perpetuel-ateliers-de-recherche-interdisciplinaire
- https://www.temoignages.re/spip.php?page=page-forum&id_article=12533
- https://www.la-reunion-des-livres.re/auteur/mab-elhad/
- https://www.jepoemes.com/poeme/mab-elhad-poete-photographe-artiste-calligraphe.16986/
ELABAKANA (Ailes de colliers)
Richard Razafindrakoto, 2003
C’est un lieu commun de se dire que ne peut avoir de la valeur que celle admise par le regard social. Encore faudra-t-il pouvoir mettre en exergue ce qui semblent évident.
Perdue dans le dilemme du choix entre la tradition et la modernité, l’âme malgache contemporaine perd de vue ses potentialités d’obédience océanienne cette culture qui a drainée tout au long de son parcours les sensibilités d’ici et d’ailleurs. Le sens de la décoration hérité de la tradition austronésienne, la fascination de la couleur issue du chromatisme hindou et/ou africaine, ont été réinvestis et synthétisés dans une perception que l’on retrouve dans le quotidien. Nombreux sont aujourd’hui encore ses signes, symboles, matières et surtout motifs qui alimentent son univers plastique.
Pourtant actuellement au-delà de la silhouette déjà classique de l’Aloalo qui monopolise la devanture de la vitrine, ces expressions passent la plus souvent inaperçues. Tellement familières, elles échappent à notre appréciation esthétique. Nous les avons quasiment rejetées dans le non-dit. Toujours on a eu besoin au détour de l’exploration anthropologique, du regard étranger pour les apercevoir.
N’est-ce pas le cas des vakana (verroteries et perles de couleurs) qui assument divers rôles dans la société malgache d’antan et d’aujourd’hui ? Des parures en bois dont elles sont issues, aux verroteries produites dans les manufactures tchèques, maliennes, françaises et allemandes en passant par les importations avant le XVIe siècle, des perles de verre de fabrication arabe, persane, chinoise ou autres, les vakana ont servi et servent encore de pont transculturel qui enjambe les océans de sens, s’enrichissant de culture en culture, se renouvelant d’un individu a un autre presque sans discontinuité. Anéantissant ainsi la distance et le temps pour mieux garder le rôle qu’on leur renie et qui leur revient, portant de droit celui d’être le support d’une sensibilité esthétique, ces vakana n’expriment-elles pas effectivement cette faculté typiquement humaine de transcender les frontières, l’espace et le temps par leur seule force évocatrice ?
Dans la culture malgache, les vakana participent à l’esthétique du corps, en mettant en valeur le paraître des uns et des autres. Elles expriment le jeu subtil de la séduction. Talismans, elles investissent le besoin métaphysique en assurant le rôle de charme et de protection. Elles servent, par ce biais de portes pour relier la représentation de la nature et de la surnature. Sur l’ensemble de la Grande île, les vakana sont non seulement diversités de formes mais aussi explosions de couleurs qui se fondent en signes et en écritures pour expliquer le monde. Elles expriment la dimension cognitive d’une expression plastique destinée à préserver l’homme de l’inconnu. Ce n’est pas par hasard si les plasticiens malgaches contemporains se sont penchés sur ces verroteries pour en extraire sens et formes, Razafindrakoto Richard, Gisèle Lalaharivelo, Adeline Raoliarivelo, Dr Ratrema ont commencé timidement à s’intéresser à ces perles sur le tard à partir des années 97. Éléments iconiques ou effets de matières, elles s’intègrent dans les toiles comme pour rappeler la dimension malgache de la forme.
Suffisant pour épuiser toutes les portées de cette matière magique, à plus d’un titre, il faudra encore aller plus loin dans la quête de sens, dépasser la simple évocation pour disséquer ce qu’elles peuvent apporter comme ferment a la créativité. Pour peu qu’on leur donne des ailes, les vakana peuvent investir le champ de la création et le sublimer. Se servant des vakana a la fois comme source d’inspiration et comme objets de réflexions.
Elabakana se positionne comme une réflexion sur le rapport symbolique du Malgache à la forme, à la couleur, en partant des perles de chances. Il s’agit donc de réinvestir l’espace symbolique de la culture pour réfléchir sur le présent en utilisant les vakana comme source d’inspiration et comme objet de réflexion. En même temps il nous importe également de faire connaître les facettes cachées, ou oblitérées de la culture malgache et de réconcilier l’expression plastique malgache avec la richesse de l’univers des formes traditionnelles. Dépassant l’exotisme ou l’exotisation pour placer la sensibilité malgache dans le courant de la sensibilité tout simplement humaine. Parvenir à un procédé artistique visant à re-exploiter rationnellement les motifs, les couleurs des perles et leurs significations (Afrique, et partout dans le monde) dans la créativité contemporaine.
Cette exposition, se propose de guider le regard dans ces dédales de formes, de systèmes d’expressions, afin d’exprimer la quête impossible des Malgaches : concilier hier et aujourd’hui pour formuler l’avenir.