Projet
Le projet Limazinèr, Tèt Kaf : une œuvre emblématique du patrimoine visuel réunionnais
À l’occasion des commémorations du 20 Désanm 2004, célébrant l’abolition de l’esclavage à La Réunion, un projet artistique de grande ampleur voit le jour à l’initiative de Jean-Pierre Clain, alors directeur de la Culture à la Ville de Saint-Denis, en collaboration avec LERKA (L’Espace de Recherche et de Création Artistique). Ce projet, intitulé Limazinèr, Tèt Kaf, s’inscrit dans une dynamique de valorisation de la mémoire collective et de relecture visuelle de l’histoire réunionnaise à travers l’art contemporain.
Du 15 décembre 2004 au 15 janvier 2005, dix œuvres issues de la série Tèt Kaf, conçues par l’artiste Wilhiam Zitte, sont reproduites à grande échelle et exposées à l’arrière des bus du réseau Citalis. Par cette initiative, les transports en commun deviennent supports de diffusion artistique, transformant la ville en une galerie à ciel ouvert. Cette exposition mobile offre à un large public une immersion dans un imaginaire visuel profondément ancré dans l’histoire et les identités réunionnaises.
Le projet s’accompagne d’un dépliant comprenant des photographies des œuvres réalisées par Jean-Noël Enilorac, ainsi qu’un texte poétique de Francky Lauret, intitulé Konbyinn tét kaf dann la tét kaf-la, qui prolonge l’expérience visuelle par une dimension littéraire et réflexive.
Limazinèr, Tèt Kaf s’inscrit pleinement dans le champ du patrimoine visuel de La Réunion, en ce qu’il conjugue mémoire, esthétique urbaine et transmission. En donnant une visibilité publique et populaire à des visages longtemps marginalisés, l’œuvre de Wilhiam Zitte participe à une réappropriation symbolique de l’espace collectif et à une revalorisation des figures afro-descendantes de l’île. Par son format, sa portée sociale et son inscription dans l’espace urbain, ce projet constitue un jalon important dans l’histoire de l’art public à La Réunion et dans la construction d’un patrimoine visuel créole contemporain.
Conception : Antoine du Vignaux
Coordination du projet : Isabelle D’Ziré
Design graphique : Kamboo
Photographies : Jean-Noël Enilorac
Remerciements : Labo Pix, Publicar, Graphica, Jean-Sébastien Clain
Wilhiam Zitte (1955–2018)
Wilhiam Zitte naît le 1er mars 1955 à Saint-Benoît (La Réunion) et décède le 22 juin 2018 à La Plaine des Palmistes, à l’âge de 63 ans.
Artiste autodidacte, Zitte développe une pratique singulière articulée autour de la mémoire, de l’identité et de la réhabilitation des figures oubliées de l’histoire. Face à l’effacement des visages par le temps, la censure et l’oubli, il choisit de les faire réapparaître au moyen du pochoir, en recourant à des supports ordinaires tels que le papier journal ou la toile de jute (goni), qu’il investit d’une forte portée symbolique.
Sa démarche artistique s’enracine dans une quête personnelle de ses origines et dans la volonté de mettre en lumière l’héritage culturel afro-descendant réunionnais. C’est dans cette dynamique qu’il conçoit ses « Tèt Kaf », qui devient une signature visuelle forte de son œuvre. Pionnier du street art à La Réunion, il intervient dans l’espace public – murs, routes, pylônes – contribuant ainsi à une forme d’art populaire et accessible.
Zitte est également l’initiateur de l’« artcréologie » (ou artkréolozie), une démarche plastique originale fondée sur la représentation de silhouettes stylisées, et qui allie art, archéologie et mémoire créole.
Considéré par de nombreux spécialistes comme l’un des acteurs majeurs de la scène artistique contemporaine réunionnaise, Wilhiam Zitte fut à la fois peintre, sculpteur et théoricien de sa propre pratique. Il est l’auteur de l’expression « Kaf lé zoli», en écho au slogan afro-américain « Black is beautiful », par laquelle il revendique la beauté et la dignité des Réunionnais d’origine africaine, souvent réduits à une image stigmatisée héritée de l’esclavage.
Konbyinn tét kaf dann la tét kaf-là ?
Ou la pa vi, ou préfèr pa war. Ou wa minm pi ou. Solman tét kaf là i gét aou dobout dann zyè. Zordi tét kaf la sort maron dopi la tér rouz piton anlèr. Lé pi dann la kal mizé, la pa dann tinél bordmèr, ni dann légliz zindyin… Maron la sorti pou dsann si la vil. Kaf si lo kof loto, si la zèl, kaf si kapo, bann gétér la rouv somin.
Détrwa i dir, sa la pa kaf maron sa.
Kél maronaz ? Out tét an zafis koboy promné partou ?
Maronaz kosa ? Kan fo rant dann lo park kom anzolé ?
Maronaz oki ? Plastik na pwin sét po. Kan lo tan va ni va dékartik bann figir pou mét piblisité. Zistorézon maronaz dan lo tan. Zitorézon piblisité maroné. I vann pa ou ryin tèrla.
Mové lang mi di atwé.
Mové lang na pwin léspri, dawar pou zot myé vo pinn an gran bann gouvernèr, ankor.
Mé ousa twé la fine war in kaf dan tout son dinité ? Konbyin la tir portré san rod lam bondyé ? Poswar Wilhiam Zitte i zèt pa lo sor, i fé lèv lèspri, i travay lèspri.
La pa di zanimo, la di domoun. La pa di zésklav la di kaf. La pa di lontan, la di toultan.
La di tout. La pa di bébèt, la di Zanahary. La pa di granmèrkal, la di Lér Kaf.
La pa di vilin boubou, la di in zoli pli méyèr k’in boté.
I di pa métisse, i di batar. La pa di kaf in koulèr, la di kaf in manyèr viv kréolité.
Détrwa i di néna kaf blan. Oubli pa 20 désanm la fét kisa ! Kèl Ombline pou anbar soléy ?
Wilhiam Zitte konm in boug i vé saroy la mèr, kom zistwar marmay i vé dévid loséan sanm in kokyaz. Zétwal kaf navé pwin dann siel ? Ala konstélasyon, saplé zartis zordi. Tét kaf an galaksi. La pa di la gél. La di domoun. La di vizaz kontnasyon tiré dann moulal, dékoupé dann fénwar loubli.
Koman ou angard ali i dir koman ou gard amwin, koman ou rogard aou.
Lèv lo zyé pou war out rasine si ou viv la tét anba.
Amwin mi marsh dovan-déryèr, mi fé zako pou giny zimaz-la.
Bobine 5,6,7,8,10,14,31, mi koup antravér Sinn-Ni, pou giny la lign lo bis.
Francky Lauret, janvier 2005